Le projet
Le projet Marins Chercheurs est un projet participatif visant à valoriser le savoir écologique des pêcheurs dans un objectif de gestion durable et intégrée des pêches. Deux outils ont été créés pour appuyer ce projet : un carnet de pêche en ligne et un dispositif d’enquêtes « Ressources ».
- Le carnet de pêche, individuel et anonyme, est destiné à servir à la fois d’outil personnel et de base de données à destination de la recherche halieutique
- Le dispositif d’enquêtes « Ressources » est un sondage en ligne, pour recueillir les connaissances « empiriques » des pêcheurs sur les espèces pêchées. Le questionnaire comporte entre 15 et 20 questions très simples portant sur la perception de l'état de santé d'une espèce.
La première espèce à être étudiée est le bar (dicentrarchus labrax). C’est une espèce emblématique de la pêche de loisir. C’est également une espèce fondamentale pour la pêche professionnelle. Malheureusement, le bar est victime de son succès.
La situation du bar
Depuis presque 15 ans, de nombreux pêcheurs (professionnels ou amateurs) alertent les autorités de la surexploitation du bar. Pêché en période hivernale lors de sa période de reproduction par les chalutiers pélagiques, les fileyeurs, les chalutiers de fond, pêché en été par les pêcheurs de loisir et les ligneurs, le bar n’a que peu de répit. Malgré cet important effort de pêche, le bar souffre encore d’un important manque de connaissances scientifiques, sur l’état de santé de ses différents stocks ainsi que sur différentes caractéristiques biologiques (définition des stocks, croissance, recrutements etc.)..
En juin 2013, l’organisme scientifique européen en charge des évaluations de stocks de poissons, le Conseil International pour l’Exploration des Mers (CIEM), a pointé du doigt la situation catastrophique du stock de bar situé au nord des eaux européennes (Manche, Mer du Nord…).
Par manque de données, aucun avis scientifique n’était délivré pour le golfe de Gascogne, où la France est presque la seule à pêcher le bar, la méditerranée ou les eaux ibériques.
Faute d’avis scientifiques, et surtout faute de volonté de la part des structures représentant la pêche professionnelle et de l’Etat, aucune mesure de gestion efficace n’a été prise pendant toutes ces années.
Si l’Europe semble avoir pris conscience de l’urgence de la situation pour les eaux du nord de l’Europe, rien n’est prévu pour limiter l’effort de pêche dans les autres zones, notamment le golfe de Gascogne. Nous n’avons pourtant aucune certitude que la situation du bar y soit meilleure que dans le nord, et, si tel était le cas, il est impératif que des mesures de gestion pérennes et efficaces soient prises au plus tôt pour l’ensemble des stocks de bar.
Cette histoire est malheureusement un grand classique de la gestion des pêches. Elle révèle les lacunes du système actuel qui, en dehors de quelques espèces sous quotas, est incapable de mettre en place des mesures préventives pour éviter la catastrophe.
Agir grâce aux connaissances empiriques des pêcheurs
C’est pour répondre, en partie, à cette situation absurde, que le projet Marins Chercheurs a été créé. La recherche halieutique manque de moyens, et il est peu probable qu’elle en ait davantage à l’avenir. Mobiliser les connaissances des pêcheurs pour obtenir une vision complémentaire des études scientifiques est un levier potentiellement important pour faire bouger les choses, et peut-être, agir avant qu’il ne soit trop tard.
Ce bilan intermédiaire présente les premiers résultats du volet d’étude des connaissances empiriques des pêcheurs de loisir concernant la ressource en bar. Il s’agit des réponses collectées entre décembre 2014 et juin 2015.
La lecture de ces résultats doit se faire en intégrant les précautions suivantes :
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- Cette enquête est une enquête de perception. Elle repose essentiellement sur les déclarations des pêcheurs. La méthodologie employée n’est donc pas destinée à obtenir des résultats scientifiquement rigoureux sur l’état de santé des ressources en bar.
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- Aucun échantillonnage n’a été réalisé pour obtenir un panel de pêcheurs représentatif de la population des pêcheurs de loisir. Les résultats issus de cette enquête ne représentent que les perceptions des pêcheurs ayant participé à cette étude, et non l’ensemble des pêcheurs de loisir en France.
Les pêcheurs participants
Perceptions de l’état de santé du bar
Tailles des prises
Perception générale
Les résultats des évaluations de stocks de 2015
Le 30 juin 2015, le CIEM délivrait les derniers avis scientifiques d’évaluation des stocks de bar. Quelles en sont les principales conclusions ?
Alerte en Zone Nord
L’avis scientifique du CIEM pour la zone Nord confirme la situation catastrophique du stock, avec une biomasse maintenant très proche du seuil fatidique de Blim (seuil au-delà duquel les risques d’effondrement du stock sont très importants (quatrième graphique ci-dessous).
En conclusion, le CIEM recommande que les captures totales (récréatifs et professionnels) de bar en 2016 ne dépassent pas 541 tonnes. Pour rappel, l’avis de 2014 recommandait que les captures de 2015 ne dépassent pas les 1 155 tonnes. En 2014, ce sont plus de 4 000 tonnes de bar qui ont été prélevés ! Cet objectif semble encore une fois complètement irréalisable compte tenu de l’absence de mesures de gestion à la hauteur de la situation.
Graphiques présentant l’évolution des débarquements, recrutement, mortalité par pêche et biomasse féconde pour la Zone Nord (CIEM, 2015)
Incertitude dans le golfe de Gascogne
Contrairement à la zone Nord, la situation pour le golfe de Gascogne a légèrement changé par rapport à l’année dernière. Alors que l’avis de 2014 était classé comme « data poor » (seules les données de débarquements étaient utilisées), l’avis de 2015 intègre également des données de rendement (kg débarqué par jour et par unité d’effort). Cet avis fait état d’une situation bien meilleure que dans la zone Nord. Les indices permettant aux scientifiques d’estimer la biomasse montrent même une augmentation de cette dernière.
Le CIEM intègre donc cette tendance positive de la biomasse et délivre une recommandation de capture limitée à 2 634 tonnes (contre 1 890 tonnes en 2014). Pour rappel, la quantité débarquée par les pêcheurs professionnels en 2014 est évaluée à 3 000 tonnes. En l’absence de données concernant la pêche récréative, cet avis n’intègre pas les captures associées et ne formule pas de recommandations de limite de captures…
Si ces dernières nouvelles semblent réjouissantes, cet écart entre la perception des pêcheurs participants et l’évaluation scientifique soulève de nombreuses interrogations. Etant donné la situation dramatique du bar dans la zone Nord, et les nombreux manques en matière de connaissance scientifique, une approche extrêmement prudente est indispensable.
Il faut rappeler qu’il ne s’agit là que d’une évaluation incomplète du stock, excluant notamment les captures de la pêche de loisir, et d’une recommandation basée sur une approche de précaution. Il n’est donc pas possible d’affirmer que le respect de ces recommandations permettra une exploitation durable du stock de bar dans le golfe de Gascogne.
En tout état de cause, aucune mesure existante ne permet de limiter les captures de bar dans le golfe de Gascogne conformément à cette dernière recommandation. C’est pourquoi il est impératif qu’un plan de gestion pérenne du bar au nord comme au sud du 48ème parallèle, s’appliquant à la pêche professionnelle comme à la pêche de loisir soit mis en place le plus rapidement possible.
Graphiques présentant l’évolution des débarquements et de l’indice de biomasse exprimé en kg/jour pour le golfe de Gascogne, VIIIa et b (CIEM, 2015)
Conclusion
L’un des principaux enseignements de cette première année d’enquête sur le bar est la quasi absence de différence de perceptions entre les pêcheurs ayant pêché dans la zone VII (au nord) et ceux ayant pêché dans la zone VIII (au sud), ce qui contraste fortement avec les résultats du CIEM de cette année. En effet, si ces résultats confirment le diagnostic sévère sur l’état de santé du bar établi par les scientifiques dans la zone « Nord », les pêcheurs participants pêchant dans le golfe de Gascogne constatent eux une ressource de bar en déclin depuis 10 ans.
Nous ne pouvons que nous féliciter que des mesures d’urgence aient été prises cette année afin de limiter l’effort de pêche en zone Nord. Cependant, l’objectif maintenant est de mettre en place un plan de gestion pérenne du bar au nord comme au sud du 48ème parallèle. Bien entendu, la recherche scientifique doit être soutenue afin de disposer d’une évaluation scientifique fiable des captures de tous les segments de la pêche professionnelle ainsi que de la pêche de loisir. Cependant, les lacunes scientifiques ne doivent plus servir de prétexte pour repousser sans cesse la mise en place de mesures efficaces.
Plusieurs objectifs doivent, selon nous, guider cette gestion :
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- Diminuer la mortalité par pêche conformément au niveau du Rendement Maximal Durable
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- Pour les zones où les connaissances scientifiques sont insuffisantes (Golfe de Gascogne notamment), l’application d’une approche de précaution forte est nécessaire
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- L’importance socio-économique de la petite pêche côtière et de la pêche récréative ainsi que leur faible impact environnemental doivent être pris en compte, conformément aux principes de la Politique Commune des Pêches. Cela doit donc se traduire par un accès préférentiel de ces activités à la ressource en bar.
Les mesures les plus pertinentes pour atteindre ces objectifs sont, pour nous, les suivantes :
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- Protéger le bar durant sa période de reproduction :
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- En interdisant sa capture pour toutes les activités de pêche, professionnelle et de loisir. La période d’interdiction doit être d’au moins deux mois, et fixée en fonction du pic de reproduction, variable selon les secteurs géographiques.
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- En interdisant la pêche sur l’ensemble des zones abritant des frayères de bar, durant l’intégralité de la période de reproduction, soit de début décembre à fin avril selon les zones.
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- Limiter la mortalité par pêche au niveau du Rendement Maximal Durable :
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- En adoptant les mesures adéquates permettant de limiter la mortalité par pêche globale (débarquements et rejets) pour les flottes de pêche professionnelle. Soit en instaurant un TAC (Total Admissible de Capture), soit en déterminant d’autres mesures (limitations périodiques de capture par exemple).
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- En limitant le nombre journalier de prises de bar par la pêche de loisir, pour l’ensemble des eaux européennes. La définition du quota journalier doit impérativement être fixée de manière à ce que les captures globales (incluant la pêche de loisir) n’excèdent pas le niveau du Fmsy. Idéalement, cette mesure devrait se baser sur un avis scientifique fiable. Cependant, en l’absence d’avis scientifique suffisant, une approche de précaution devrait également s’appliquer à la pêche de loisir.
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- En augmentant la taille minimale de capture à 42 cm pour la pêche professionnelle comme pour la pêche de loisir, en l’accompagnant des mesures techniques nécessaires (augmentation des maillages pour le chalut et le filet, mesures d’interdiction spatio-temporelles pour éviter les zones de concentration des poissons non maillés) afin qu’une telle mesure ne se traduise pas par une augmentation des rejets de poissons morts.
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- Protéger le bar durant sa période de croissance juvénile, en appliquant des mesures de sélectivité ou d’interdiction spatio-temporelle à même de supprimer les captures de juvéniles de bar sur les zones de nurseries.
Il y a clairement une situation de surcapacité de pêche des navires capturant du bar. En d’autres termes, il n’y a certainement pas assez de place pour tout le monde. A l’heure où l’Union Européenne affirme la nécessité de rétablir les stocks de poissons, le sauvetage du bar apparait comme le premier grand défi à relever de la nouvelle Politique Commune des Pêches. Cette dernière promet notamment de réserver un accès préférentiel aux pêcheurs pratiquant une pêche à petite échelle, artisanale ou côtière. Espérons que l’Europe saura traduire ces mots en actes.