Dénoncé depuis les années 2000 par les ligneurs de la Pointe de Bretagne et par les plaisanciers, le déclin de la ressource de bars n’a fait qu’empirer jusqu'à aujourd'hui. Les récentes évaluations scientifiques (dramatiques) des stocks ont enfin poussé l’Europe à agir. Mais les mesures proposées permettront-elles vraiment de rétablir les stocks de bars ? Nous vous proposons là quelques éléments de réflexion.
Les éléments de ce document sont principalement tirés des études publiées par l’Ifremer. Des entretiens complémentaires ont également été réalisés auprès de la Commission Européenne, la FNPPSF ainsi que de la plateforme de la petite pêche artisanale française.
Rappel succinct des connaissances sur le bar
Quelques chiffres clés :
- 73 Millions d’euros de chiffres d’affaires en France en 2012 (FranceAgriMer)
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- Plusieurs centaines de milliers de pêcheurs de loisir pêchant le bar en France parmi 1,3 millions de pêcheurs en mer à la canne ou sous-marins.
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- Taille minimale de débarquement fixée par l’Union Européenne à 36 cm
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- Taille de maturité sexuelle maximale de 42 cm (environ) en Atlantique
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- 80% de réduction des captures en 2015 requis par les scientifiques du CIEM
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- Actuellement, aucune mesure ne permet de gérer durablement la pêcherie européenne du bar
Qui capture quoi ?
> Pêche professionnelle en 2012
Les chaluts de fond, les chaluts pélagiques et les fileyeurs pêchent le bar entre novembre et avril, soit lors du regroupement des compagnes de bar précédant le frai, soit lors du frai. Ces métiers représentent près des trois quarts du tonnage total de bar pêchés par la pêche professionnelle, près de 3 500 Tonnes.
Zone « Nord » (2012) : 3 946 T
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- France : 2600 T
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- Forte hausse des captures françaises depuis 2000
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- Le chalutage pélagique est la plus grosse pêcherie = 30% du total des débarquements
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- Chalutiers de fond : 24% des débarquements
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- Fileyeurs : 14%
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- Ligneurs : 12%
Les débarquements professionnels européens sur la zone "Nord" en 2013 étaient de l'ordre de 4100 tonnes et ceux des pêcheurs récréatifs européens sur cette zone de l'ordre de 1500 tonnes (CIEM).
Zone Golfe de Gascogne (2012) : 2 526 T
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- France (2012) : 2 347 T
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- Ligneurs/Palangriers : ~750T
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- Chalutiers pélagiques : ~200T
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- Chalutiers de fond : ~460T
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- Fileyeurs : ~800T
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- Senne danoise : 200T
Le chalut pélagique représentait 25% des débarquements entre 2000 et 2008 contre 9% en 2012. Un report d’activité a eu lieu vers la Manche à partir de cette date. On peut s’interroger sur les raisons qui les ont conduits à ce choix. Une hypothèse étant que la ressource avait déjà à cette époque fortement diminué, en tout cas suffisamment pour être moins rentable que l’exploitation des frayères situées en Manche.
Le filet connait une hausse de capture assez soudaine passant de 400 T en 2010 à plus de 800 T en 2013 !
Et les autres zones ?
Concernant les autres zones, la Zone « des eaux Ibériques » (759 T en 2012), les eaux à l’ouest de l’Irlande et de l’Ecosse et la Méditerranée, les connaissances scientifiques sur le bar y sont malheureusement très faibles.
Pêche de loisir
Rappels des dernières études de l’Ifremer pour la pêche de loisir en France :
- Des prélèvements annuels estimés compris entre :
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- 708 et 2 125 tonnes en 2009-2010
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- 1 666 et 4 998 tonnes en 2011-2012
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- Valeur moyenne : 2310 T (+/ – 1200 T), dont 25 T (+/– 13 T) de prises inférieures à 36 cm conservées.
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- Mise en place de la taille minimale à 42 cm pour la pêche de loisir en 2012 : Les estimations de l’Ifremer conduisent aux chiffres de diminution des captures associée entre 13.8% (2010) et 17.4% (2012) en tonnage.
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- Les problématiques :
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- Les distributions des tailles de capture des plaisanciers sont très mal connues
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- Forte incertitude sur les estimations de captures. la précision n’est que de 51 à 53% (selon les suivis) sur les tonnages capturés et/ou relâchés du fait de la taille trop restreinte des panels de volontaires remplissant les fiches de pêche
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- Le CIEM intègre la pêche de loisir dans ses dernières évaluations mais de façon très basique, comme un paramètre de mortalité constant.
Il existe pourtant certainement une forte variabilité interannuelle des captures de la pêche de loisir.
Ailleurs en Europe :
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- Globalement peu d’études sur les prélèvements de bar par la pêche de loisir. Les estimations de captures réalisées donnent pour :
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- Une étude anglaise sur les captures de la pêche de loisir (2012) : entre 230 et 440 tonnes
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- Une étude Néerlandaise sur les captures de la pêche de loisir (2012) : de l'ordre de 140 tonnes
Les (principales) mesures de gestion actuelles
Pêche professionnelle :
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- Un système de licence a été mis en place en 2012. Sans effet en terme de baisse de l’effort de pêche.
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- Limitations de captures existantes pour certains métiers (chalut pélagique notamment) :
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- Limite de 9 Tonnes par quinzaine par navire,
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- Arrêt d’une semaine imposée durant l’hiver
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- Cette limitation a été instaurée depuis la fin des années 90 pour éviter l’engorgement du marché et non pour une meilleure gestion de la ressource.
Pêche de loisir :
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- Adoption en 2012, à l’initiative des fédérations de pêche de loisir,de la taille minimale à 42 cm
Et ailleurs ?
D’autres mesures de gestion relevées en Europe :
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- UK :
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- Fermeture de 37 nourriceries de bar en Angleterre et au pays de Galles
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- Interdiction du chalutage en bœuf dans les 12 miles nautiques des côtes du Royaume-Uni dans la zone CIEM VIIe
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- Irlande : bag limit de 2 bars par jour pour la pêche récréative,
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- Pays-bas : bag limit de 20 kg ou de 25 individus de morues et de bars pour la pêche récréative
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- Portugal : bag limit de 10kg par pêcheur de loisir par jour (incluant les céphalopodes).
Retour sur les mesures proposées par la Commission
Quels sont les objectifs de gestion ?
L’objectif en matière de gestion du bar est bien l’atteinte du RMD pour 2015, conformément à la nouvelle Politique Commune des Pêches. Rappelons que pour atteindre cet objectif, le CIEM a proposé, pour la zone « Nord », une diminution des captures à 1 155 T en 2015, soit 3 000T de moins qu’en 2013.
Pour en savoir plus sur le RMD : voir l’article sur l’état des ressources par l’AFH
Rappel des mesures proposées par la Commission :
Pêche professionnelle :
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- Limitation de l’effort de pêche des chalutiers pélagiques dans la zone CIEM VIIe.
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- Les limitations ne sont pas encore connues. Elles devraient être connues d’ici début décembre 2014.
Quelques remarques :
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- Pourquoi uniquement la zone VIIe et pas l’ensemble de la zone « Nord » et/ou le Golfe de Gascogne ? Certainement parce que la majeure partie des frayères exploitées se situent dans cette zone. Concernant le Golfe de Gascogne, les connaissances scientifiques sont insuffisantes actuellement.
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- En manche, chalutiers pélagiques et chalutiers de fond font, de loin, les plus gros prélèvements (plus de 50%).
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- En 2009, 21 chalutiers pélagiques (104 marins) dépendant économiquement à plus de 50% de l'espèce bar ont débarqué 19.3% de la production française
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- Pourquoi les chalutiers de fond sont-ils exclus de ces mesures ? La flottille de chalutiers de fond comporte de nombreux navires. Le bar est pour eux une prise parmi d’autres. Dans ces conditions, il est très difficile de déterminer des mesures efficaces pour réduire leurs captures de bar.
- - Le fait de ne limiter qu'un seul engin de pêche, le chalut pélagique, ne permettra pas de réguler les captures de l'ensemble des autres métiers, chaluts de fond, senne danoise, fileyeurs et ligneurs.
Quels sont les risques ?
- - Un transfert des captures des chalutiers pélagiques vers les autres métiers. Et une diminution globale des captures potentiellement nulle...
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- Un report d’effort des chalutiers pélagiques vers le Golfe de Gascogne, soit après leur campagne en Manche, soit directement, si la pêche en Manche ne devenait plus assez rentable.
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- Imaginons que les limitations sur la flottille pélagique permettent de diminuer de 50% (ce qui semble très ambitieux) les captures, soit une capture de 600T au lieu de 1200T (chiffrage très approximatif). Les captures totales seraient toujours de l’ordre de 3 400T, encore très très loin des 1 100T (pros et loisir) requis par les scientifiques pour rétablir le stock.
Pêche de loisir :
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- Instauration d’une limite journalière d’un bar par pêcheur dans la zone « Nord »
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- La pêche du bord est-elle concernée ? Oui, la définition de la pêche de loisir donnée par l’Union Européenne inclut la pêche de loisir du bord.
Quelle limitation des captures est attendue ?
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- Pour répondre à cette (difficile) question, il est nécessaire de prendre en compte les éléments suivants :
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- Intégrer la diminution de capture liée à l’adoption de la nouvelle taille minimale de 42 cm (rappel, entre 13.8 et 17.4%, sur la base des années étudiées)
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- Prendre en compte l’ensemble des captures illégales : captures « sous-taille », dépassements du quota journalier, braconnage
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- D’après différentes études, la quantité moyenne capturée par pêcheur et par jour oscille entre 1,5 bar à 1,84 bar. Il s’agit bien entendu d’une moyenne, qui masque une forte dispersion des captures de bars entre les pêcheurs confirmés et les pêcheurs moins confirmés ou plus occasionnels. L'impact de ce quota ne sera donc pas une réduction mécanique de 30 ou 50%.
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Les mesures proposées par les professionnels
Rappel : une récente délibération des professionnels français proposait le panel de mesures suivantes :
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- Une augmentation de la taille minimale de capture du bar à 40 cm
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- Un arrêt biologique d’un mois à prendre entre le 1er janvier et le 31 mars, pour les chalutiers pélagiques, les chalutiers de fond et les fileyeurs ciblant le bar
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- Des limitations de capture par navire ou des seuils de prises accessoires (25 % maximum) de bar par marée pour les pêcheries accessoires : bolincheurs, senne danoise.
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- La mise en place d’une licence européenne, l’AEP, Autorisation Européenne de Pêche, pour contingenter la flottille ciblant le bar.
Décryptage :
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- Augmenter la taille minimale sans améliorer la sélectivité n’aura pour seul effet que d’augmenter les rejets de bars, morts pour la plupart des métiers, mis à part ceux capturés par les ligneurs.
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- Le gros du frai se situerait entre la mi-janvier et la mi-février en Manche. La possibilité de choisir la période d’arrêt pourrait n’avoir qu’un effet limité en matière de réduction de la mortalité par pêche
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Retour sur la question du TAC (Total Autorisé de Capture) :
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- L’Etat Français a demandé en 2012 la mise sous quota du bar. Le Conseil des Ministres de l’UE a rejeté cette option, qui aurait attribué à la France une très grande part du TAC.
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- La décision de passer le bar sous quota figerait les quantités attribuées en fonction des antériorités de pêche récentes. Soit une majeure partie pour les métiers qui sont responsables de l’état actuel du stock. Equitable ?
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- Une « course » aux antériorités a peut-être déjà eu lieu. Par exemple, les fortes hausses de captures de bar par les fileyeurs en Atlantique, la senne danoise…
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- La forte saisonnalité de la pêche du bar introduirait une inégalité entre les pêcheurs d’hiver, qui auront les premiers accès à la ressource, et ceux d’été, qui n’en récolteront que les restes.
Remarque :
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- On ne sait pas s’il y a réellement un ou plusieurs stocks de bars. Pour être efficace, un TAC doit s’appliquer au niveau d’un stock effectif et non théorique. Le principal risque d’un TAC unique est qu’un report d’effort entre différentes zones intervienne. La création de plusieurs TAC est privilégiée.
Les mesures proposées par les plaisanciers
Dans leur pétition lancée le 10 novembre 2014 (http://www.mesopinions.com/petition/politique/quota-peche-loisir-1-bar-jour/13154), les fédérations de pêche de loisir proposent :
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- L’application de la maille de 42 cm à l’ensemble des pêcheurs, pros et loisir
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- L’interdiction de la pêche du bar durant la période de reproduction
Décryptage :
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- Augmenter la taille de débarquement à 42cm reviendrait à diminuer les débarquements professionnels français de l’ordre de 590 tonnes, de l'ensemble des zones de pêche (Source : Ifremer). L'effet serait donc relativement mineur et sans doute insuffisant au regard des objectifs européens.
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- Augmenter la taille minimale sans améliorer la sélectivité n’aura pour seul effet que d’augmenter les rejets.
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- Si on considère que la période de reproduction s’étend du 1er janvier au 31 mars (période de référence pour le choix de l'arrêt volontaire d'activité), l’interdiction totale de la pêche du bar aurait là effectivement un effet immédiat en matière de réduction des captures… et sur le mécontentement des pêcheurs professionnels !
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- Les ligneurs et palangriers sont en grande difficulté et subissent fortement la raréfaction du bar, dont ils dépendent. Du fait de l’appauvrissement du stock et notamment des grands individus, le passage à une maille de 40 ou 42 cm aurait un impact économique important, qui pourrait potentiellement en faire disparaitre un grand nombre, notamment les plus petits bateaux…
Les mesures de gestion potentielles proposées par l’Ifremer
L’Ifremer a déjà proposé depuis quelques temps tout un panel de mesures de gestion. Nous en reprenons les principales :
Dans le cas de figure où l’objectif de gestion est une diminution des captures (ce qui est le cas actuellement) :
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- Passage sous TAC (incluant la plaisance) avec la possible déclinaison en quotas individuels
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- Interdictions modulables de la pêche sur frayères (différentes modalités de fermeture spatio-temporelle)
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- Plan de sortie de flotte (en fonction des contributions respectives des navires aux captures totales) – NB : c’est-à-dire subventionner le départ de certains navires)
Autres mesures potentielles proposées par l’Ifremer :
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- Augmentation de la taille de première capture /à condition d’améliorer le diagramme d’exploitation (c-à-d la sélectivité des engins de pêche)
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- L’amélioration de la sélectivité des engins existants et/ou la promotion des engins les plus sélectifs
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- La fermeture spatio-temporelle sur les nourriceries : protection des juvéniles
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- Mise en place d’une régulation temporelle des apports afin d’éviter l’engorgement du marché
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- Privilégier les métiers valorisant au mieux le poisson (cf. graphique ci-dessous)
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- Maximisation de l'emploi, en privilégiant les métiers qui, tout en étant rentables, présentent le plus fort ratio « nombre de marins / production ».
Conclusion
L’avenir du bar est encore loin d’être assuré. L’analyse des mesures proposées par la Commission Européenne montre qu’elles sont très certainement insuffisantes et comportent de nombreux effets indésirables.
Il y a fort à parier que la situation du bar dans le Golfe de Gascogne n’est pas non plus très bonne. Une mesure de précaution de diminution des captures de 20% a d’ailleurs été préconisée par le CIEM. Dans ces conditions, tout report d’effort des pêcheurs vers le Golfe de Gascogne serait en complète contradiction avec cette préconisation et accélérerait encore le déclin de ce stock.
Au vu de l’ensemble des métiers qui capturent du bar, on mesure combien il sera difficile de définir les bonnes mesures de gestion, celles qui permettront un rétablissement des stocks conformément au niveau du Rendement Maximal Durable.
Pour aller plus loin
Ifremer - LES STOCKS DE BAR COMMUN ET LES MESURES DE GESTION DANS L´UNION EUROPÉENNE - http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2014/529083/IPOL_STU(2014)529083_FR.pdf
Ifremer - Synthèse des informations disponibles sur le Bar : flottilles, captures, marché. Réflexions autour de mesures de gestion - http://archimer.ifremer.fr/doc/00035/14577/11879.pdf
Rocklin D, Levrel H, Drogou M, Herfaut J, Veron G (2014) Combining Telephone Surveys and Fishing Catches Self-Report: The French Sea Bass - Recreational Fishery Assessment. PLoS ONE 9(1): e87271. doi:10.1371/journal.pone.0087271 - http://archimer.ifremer.fr/doc/00177/28812/27293.pdf