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La coquille Saint-Jacques, un modèle de gestion pour le bar ?

Pourquoi s’intéresser à la coquille Saint-Jacques ? Ce n’est pas vraiment une espèce recherchée par les pêcheurs sportifs… mis à part les chasseurs sous-marins qui ressortent la combinaison pour la débusquer dans une eau froide et trouble le plus souvent, où la contrainte de la marée est souvent bien plus forte que la contrainte de la réglementation. Et bien parce qu’elle présente quelques similitudes avec une espèce chère à Marins Chercheurs, le bar.

Comme le bar, la coquille Saint-Jacques est une ressource essentielle pour de nombreux pêcheurs professionnels. Les chiffres de FranceAgriMer de 2014 font état d’un tonnage total de 28 400 Tonnes pour 71 M€ de chiffres d’affaires, ce qui place la coquille dans les premières places en valeur des produits issus de la pêche française.

La coquille est l’objet d’une pêche professionnelle ciblée depuis le début du XXème siècle. Comme le bar, elle a été victime d’une surexploitation. En rade Brest, en baie de Saint-Brieuc, les gisements ont été fortement surexploités, et ce dès les années 50. Comme le bar, (et bien d’autres) son abondance dépend beaucoup des conditions environnementales (climat, courants etc.).

Comme le bar, c’est une ressource que nous partageons avec le Royaume-Uni, la Belgique, l’Irlande, les Pays-bas. Encore une fois, le partage est difficile et ça ne manque d’occasionner des heurts… entre français et anglais. En 2012, la flottille anglaise provoque la colère des coquillards français en venant draguer sur des fonds et à une période où la réglementation française l’interdit, afin de gérer au mieux la ressource.

http://www.france24.com/fr/20121011-peche-coquille-saint-jacques-cree-discorde-pecheurs-francais-britanniques-france-royaume-uni/

Comme le bar, c’est une espèce qui n’est pas soumise à un système de TAC (Total Admissible de Capture) au niveau européen (des limitations de captures existent localement par contre).

Mais la comparaison s’arrête là, car la coquille Saint-Jacques bénéficie, elle, de mesures de gestion rigoureuses au sein des pêcheries françaises depuis plusieurs décennies. On y retrouve, devinez quoi ? Une fermeture intégrale de la pêche du 15 mai au 1er octobre, durant la période de reproduction et une gestion très fine des autorisations de pêche par zone, en limitant les jours et les heures de pêche et en fixant des quotas journaliers par navire.

Des moyens importants de contrôle sont alloués à cette pêcherie, de la part des services de l’Etat bien sûr, mais également de la part des pêcheurs eux-mêmes qui contribuent financièrement aux mesures de contrôle. De même, cette espèce bénéficie d’importants moyens scientifiques avec deux campagnes réalisées chaque année par l’Ifremer, en baie de Saint-Brieuc (COSB) et en manche-est (COMOR).

Alors comment ces pêcheries ont réussi à mettre en place de telles mesures de gestion ?

La coquille saint-jacques en 10 points cles

-       La coquille Saint-Jacques est la première espèce débarquée en tonnage, et la deuxième ou troisième en valeur en Manche (2). Elle représente 28 400 T vendues pour 71 M€ de CA (toutes provenances).

-       C’est une ressource essentielle pour de très nombreux bateaux en Manche, qui en sont très dépendants économiquement.

-       Elle est pêchée principalement au moyen de dragues, sortes de mini-chaluts métalliques, raclant les fonds pour recueillir les coquilles.

-       La drague, au même titre que le chalut de fond, pose un certain nombre de questions en matière d’impact sur les fonds marins : modification de l’écosystème, perte de biodiversité, domination de certaines espèces au détriment d’autres etc.

-       La pêche est soumise à un ensemble de mesures de gestion et d’opérations de contrôle assez exceptionnels en France

-       On parle plus de gisements que de stocks pour la coquille. En France, les deux principaux gisements sont ceux de la Baie de Seine et de la baie de Saint-Brieuc.

Trois unités fonctionnelles majeures, objet d’échanges larvaires importants et réguliers, ont été mis en évidence : (i) la Manche orientale avec le stock clef de la baie de Seine, (ii) le golfe normano-breton et la côte nord-bretonne, et (iii) les côtes sud-ouest de l’Angleterre (2).

 

-       La coquille est très sensible à l’influence de la température de surface et des grands cycles climatiques lors de ses premiers stades de vie. En conséquence, il y a de fortes fluctuations inter-annuelles du recrutement (nombre de coquilles passant à l’âge d’être pêchée). En conséquence, les professionnels suivent peu ou prou les recommandations des scientifiques en ajustant le Total Autorisé de Capture (TAC) selon les années : entre 2 500T et 6 800T entre 1990 et 2004 en baie de Saint-Brieuc.

-       Les gisements les plus importants font l’objet d’un suivi scientifique annuel par campagne halieutique spécifique (autre point exceptionnel), qui permet d’évaluer l’abondance du stock et la qualité du recrutement.

-       Certains gisements sont victimes d’une toxine, l’ASP, qui empêche soit directement sa pêche, le gisement est alors fermé, soit sa commercialisation entière, ce qui contraint les pêcheurs à organiser son décorticage en usine.

-       La coquille est également victime d’une espèce invasive, la crépidule, avec de nombreux impacts négatifs sur la pérennité de la ressource. La quantité de crépidule serait phénoménale (des millions de tonnes…). La modification du milieu entrainée par l’impact de la drague sur les fonds serait une des causes de l’installation et du développement de cette espèce (2).

 

Bref historique des mesures de gestion de la coquille Saint-jacques

Une pêche ancienne

La coquille Saint-Jacques apparait très tôt dans les statistiques de pêche, dès 1915 (1). Un document de l’Office des pêches maritimes de Boulogne sur mer de 1930 (nous indique que la coquille est pêchée « comme source de bénéfices » qu’à trois endroits : la Manche orientale, la baie de Saint-Brieuc et la rade de Brest (3). 160 bateaux pêchent alors la Saint-Jacques en hiver dans la rade de Brest. Cependant, le document indique que la coquille est une ressource pêchée alors sur l’ensemble de la façade Atlantique/Manche et même de façon très anecdotique en méditerranée ! Ce sont d’ailleurs les anglais qui auraient exploité les premiers cette ressource en Manche, suivis ensuite par les pêcheurs normands. C’est de cette époque que daterait la création de la pêcherie de Saint-Jacques en baie de Seine.

Carte des gisements de coquilles Saint-Jacques en Baie de Seine et Mer du Nord (1930)

 

La rade de Brest fut la première à subir un déclin important de son gisement. Des conditions environnementales très favorables ont permis au stock d’atteindre un fort niveau d’abondance après la seconde guerre mondiale. L’augmentation de la capacité de pêche avec la motorisation des navires dans les années 50 a permis, elle, de faire grimper les tonnages capturés… L’hiver exceptionnel de 1963 mettra un coup d’arrêt à la pêcherie, décimant apparemment nombre de coquilles. Quelle était la part de responsabilité de la surexploitation dans ce déclin brutal (30% des captures avaient moins d’un an dans les années 50) ?

 

Graphique extrait d’une synthèse de l’Ifremer (1) montrant l’impact phénoménal de l’hiver extrêmement rigoureux de 1963. D’autres espèces auraient également subi des effondrements très importants de leurs populations suite à cet hiver (poulpe par exemple).

 

 

La baie de Saint-Brieuc

En baie de Saint-Brieuc, les pêcheurs briochins prennent le relais, avec quelques évolutions cependant. Ainsi, les pêcheurs instaurent de leur propre fait des mesures de gestion, portant sur les navires (taille et puissance), les caractéristiques des engins et les temps de pêche autorisés. Cette intégration de la gestion par les pêcheurs doit être soulignée, c’est en effet assez exceptionnel.

Cependant, les mesures instaurées dans les années 60 ne sont pas assez efficaces. Le nombre de bateaux entrant dans la pêcherie n’étant pas limité, aucune limitation de l’effort de pêche global, et donc des captures, n’était possible. Les captures augmentent donc très rapidement et atteignent des volumes très importants. En réaction, un système de licences est instauré en 1972, au plus fort des débarquements (12 500T). L’instauration de licences permet de figer le nombre de navires dans la pêcherie (450 navires alors). Mais malgré toutes ces mesures, l’effort de pêche s’intensifie encore, les navires gagnent en puissance (passée de 74 kW par navire en 1973 à 96 kW en 1982, puis à 132 kW en 1990) et le stock atteint un seuil alarmant à la fin des années 1980.

Ce graphique des débarquements en baie de Saint-Brieuc (4) permet de comprendre l’articulation longue et difficile entre mesures de gestion, régulation de l’effort de pêche et, en résultat, la quantité de coquilles réellement capturées.

 

 

1990 est une autre année charnière pour la pêcherie, avec la mise en place de nouvelles mesures de gestion : navires de moins de 13 m, puissance inférieure à 184 KW (250 CV), nombre de dragues à bord limité à 2 d'une largeur maximale de 2 m, restrictions des caractéristiques des dragues (4). Ces mesures s’ajoutent bien entendu aux limitations de la durée autorisée de pêche (dates d'ouverture et de fermeture de la campagne de pêche, nombre de jours de pêche autorisés, nombre journalier d'heures de pêche par navire). Enfin l’instauration d’un quota global de capture (préconisé) et de quotas individuels journaliers par navire permet de limiter les quantités capturées. Les pêcheurs sont également tenus de déclarer leurs statistiques de captures avec les justificatifs de pesée de criée auprès du comité départemental des pêches.

Toutes ces mesures sont, rappelons-le, décidées par les comités des pêches eux-mêmes. Ainsi, « le président de la commission "coquillages" du CRPMEM (Comité Régional des Pêches), après avis du bureau de la baie de Saint-Brieuc fixe par décision le calendrier, les zones de pêche, les jours et les conditions de rattrapage. Et depuis 1980, un quota de pêche global est préconisé par le Comité régional des pêches maritimes sur proposition de la commission "coquillages" du CRPMEM de Bretagne, après avis d'Ifremer pour le gisement principal » (4).

Synthèse de la réglementation de la pêche de la coquille Saint-Jacques en Baie de Saint-Brieuc (Lesueur, (4))

En plus de ces mesures de gestion, les pêcheurs organisent chaque année des opérations de réensemencement, en rejetant en mer des juvéniles de coquilles Saint-Jacques, le tout financé par les pêcheurs.

On comprend à la lecture de ce bref rappel de l’histoire de la pêcherie que parvenir à une gestion efficace d’une pêcherie, sur les plans biologiques, économiques et sociaux, est loin d’être une chose aisée, même lorsque ce sont les principaux intéressés qui s’en chargent. Et pourtant, rappelons-le, cette pêcherie de coquille regroupe un ensemble de facteurs propices exceptionnel dans le paysage halieutique français :

-       ressource localisée,

-       gisements intra-territoriaux,

-       unicité du métier de pêche (drague)

Tout cela combiné à la (relativement) longue histoire des différentes pêcheries de coquilles Saint-Jacques, ponctuée de phase d’expansion, de surexploitation et de tentatives répétées d’encadrements, permet d’expliquer la relativement bonne situation des pêcheries de coquilles en France. En comparaison, l’histoire de la gestion du bar est un immense désert.

On mesure également mieux à quel point la transposition de cette organisation de la pêcherie à une autre serait complexe. Prenons, par exemple, le cas du bar. De nombreux éléments fondamentaux de l’organisation de la pêcherie de coquille en baie de Saint-Brieuc ne sont pas présents dans ce cas :

-       Ressource très mobile,

-       Pêcherie très étendue

-       Evaluation scientifique des stocks globalement insuffisante et plus complexe (incertitude sur les stocks, sur les niveaux de captures etc.)

-       Circuit de vente très large et difficilement contrôlable

-       Très nombreux métiers de pêche ciblant le bar, dont la pêche de loisir

-       Etc.

 

Controle

Les mesures de contrôle de la pêcherie sont un autre point fondamental. De très nombreux moyens sont mobilisés :

-       Surveillance aérienne

-       Contrôle en mer

-       Inspections à quai

Et ceci par l’ensemble des services de l’Etat en mer :

-       Affaires Maritimes (47 % des contrôles)

-       Douanes

-       Gendarmerie Maritime

-       Gendarmerie nationale

-       Services Vétérinaires (aval de la filière)

-       DGCCRF (aval de la filière)

Le coût de l’ensemble des opérations de contrôle pour la seule baie de Saint-Brieuc a été évalué à environ 710 000 € par an (4). Les pêcheurs participant à une petite part de ce montant (affrètement de l’avion de surveillance).

Fraude

Et pourtant, malgré toutes ces mesures de gestion et de contrôle, le niveau de fraude est estimé relativement élevé (4). Il peut s’agir de :

-       non-déclaration des captures en halle à marée,

-       de dépassement des temps de pêche autorisés.

Le niveau de fraude oscillerait entre 10 % et 60 % des débarquements officiels (Buestel in Veron, 1979 ; Dao, 1985 ; Fifas, 1991, Ifremer, 2004) (4), soit un niveau potentiellement très important.

Pour accompagner le système de gestion et de contrôle de la pêcherie, l’application de sanctions administratives (retrait de licence notamment) sont régulièrement appliquées suivant une procédure bien définie et dans laquelle les organisations professionnelles sont parties prenantes. On dénombrait dans les années 2000 entre 40 et 60 retraits de licences par an dans la pêcherie de la baie de Saint-Brieuc (4).

L’intensité de la fraude serait donc, ici aussi, malheureusement remarquable. Les études réalisées sur le sujet mettent en évidence un lien direct entre l’intensité de la fraude et la rigueur des mesures de gestion (temps de pêche autorisé). Ces études remettent ainsi en question le caractère dissuasif du contrôle ainsi que l’ensemble du système de gestion et de contrôle de la pêcherie de coquille Saint-Jacques. En d’autres termes, on peut se demander si l’extrême rigueur des mesures de gestion n’est pas autant un problème qu’une solution…

Par ailleurs, des questions se posent également sur l’organisation économique de la filière de la Saint-Jacques. L’extrême rigueur de l’organisation de la pêche conduit à des situations de « mauvaise optimisation de la mise sur le marché » (encombrement du marché par exemple) alors que la demande globale en coquille est largement supérieure à la production de la pêche française. Ici aussi, on est amené à remettre en question l’articulation entre mesures de gestion et optimisation de la commercialisation.

Pour rappel, nous décrivons ici la gestion d’une pêcherie assez exceptionnelle en France. Celle-ci est souvent citée en exemple en matière de gestion halieutique. Si certains enseignements peuvent être tirés de son organisation, bien d’autres facteurs rendent sa transposition complexe voire impossible. Il faut donc chercher encore…

 

Sources

(1) Fifas Spyros, LA COQUILLE SAINT-JACQUES EN BRETAGNE, 2004

(2) Foucher Eric, Blanchard Michel, Cugier Philippe, Desroy Nicolas, Dreanno Catherine, Fauchot Juliette, Fifas Spyros, Guyader Olivier, Jean Fred, Le Gallic Bertrand, Riou Philippe, Schapira Mathilde et Thiébaut Eric (2015). Le projet ANRCOMANCHE 2010-STRA-010. Interactions écosystémiques et impacts anthropiques dans les populations de Coquilles Saint-Jacques (Pecten maximus) de la MANCHE, Rapport scientifique final, 35p. http://dx.doi.org/10.13155/36236

(3) LA COQUILLE SAINT-JACQUES (PECTEN MAXIMUS) Résumé de nos connaissances pratiques sur ce mollusque par E. PRIOL, Préparateur au Laboratoire de l'Office des Pêches Maritimes à Boulogne-sur-Mer, 1930

(4) Marie Lesueur, Nicolas Roncin, Bertrand Le Gallic, Carole Ropars - La pêche de la coquille Saint-Jacques en baie de Saint-Brieuc : description de la pêcherie et des systèmes de gestion et de contrôle, 2009